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samedi, décembre 19, 2015

Ça va mieux à présent

Mon premier roman western : Les Frères Sisters, 1 de Patrick deWitt. Un pur bonheur de lecture. Ce qui s'appelle l'art de raconter. Comme si composer des personnages, leur insuffler une identité bien définie, puis les mettre en action en respectant les repères du genre, tout en les déplaçant, afin de créer un récit étonnant et intelligent, parfois drôle, parfois émouvant, comme si une telle réussite allait de soi.

Charlie et Eli Sisters sont deux tueurs à gages. Donc, oui, des meurtres, de la violence : « Honte, sang, et déchéance. » Mais Eli, le cadet, est un tueur atypique. Sensible, très empathique -- même avec Tub, son pitoyable cheval ! -- plutôt sentimental, à la recherche de l’amour, et attentif à la signification des choses, il n’a été entraîné dans ce travail que par les circonstances, d’abord pour défendre son frère aîné dont l’agressivité en faisait la cible de désirs de vengeance. Puis les deux frères se sont mis au service du Commodore, un être puissant et malfaisant. 

Les Frères Sisters est un roman sur le lien fraternel, sur la famille. La carrière de tueur de Charlie commence lorsqu’il est tout jeune, à la maison, par le meurtre de son père, homme violent qui venait de briser le bras de sa femme ; elle se termine lorsque les deux frères, des années et bien des aventures plus tard, rentrent au bercail, sans leurs revolvers. L’un et l’autre ont des caractères opposés, de fréquents désaccords ; Eli peut bien se plaindre que c’est lui qui a le moins bon cheval, que c’est encore lui qui doit toujours suivre derrière et obéir, il n’en aime pas moins son frère d’un amour indéfectible, tout en se plaignant, à tort sans doute, de ne pas être aimé autant en retour. À la fin, quand Charlie perdra sa main avec laquelle il tient le révolver, Eli va constater un changement chez son frère, et lui-même cessera de se sentir « impuissant » et trouvera son idéal de vie qui n’est ni de mener, ni d’être mené : « Je veux rester maître de moi-même ».

Donc, un roman aussi sur la quête de liberté. Un thème important, dans un récit qui raconte la ruée vers l’or au milieu du XIXe siècle, l’aventure vers l’Ouest, la « folie des possibles ». Les Sisters, eux, vont renoncer à cette folie « qui peut vous corrompre jusqu’à l’os ». Tel est le sens du meurtre du Commodore à la fin du récit, commis à mains nus par Eli, sans arme, meurtre qui n’est pas le fait du tueur, mais répond à un « élan de haine envers [leur ex-chef] pour l’influence que sa personne exerçait sur nos vies ». Mais une telle quête de liberté est aussi nécessairement intérieure, passant par de nombreuses questions, à commencer par la plus fondamentale de toutes : « Pourquoi est-ce que je me délecte tant de cette régression à l’état animal ? » Cette question surgit évidemment vers la fin de l’aventure, elle témoigne du dernier stade d’une prise de distance du narrateur -- Eli -- par rapport à son « propre parcours [...] vide de sens »

Difficile de ne pas être touché par la relation entre les deux frères, et de ne pas se reconnaître dans ce tueur atypique qu’est Eli, de ne pas s'émouvoir de son empathie, comme dans la scène où il accompagne Hermann Warm dans ses derniers moments. Warm n’a plus ses esprits, il croit que c’est son ami Morris qui est là, près de lui. Eli lui explique que Morris est mort, mais Warm continue à s’adresser à Eli comme s’il s’agissait de Morris, alors Eli joue le jeu, d'autant que la dernière réplique pourrait s'appliquer aussi bien à lui-même qu'à Morris :
[Warm :] « J’ai l’impression que nous nous connaissons depuis longtemps.
-- Moi aussi.
-- Et je regrette vraiment que tu aies dû mourir avant.
-- Ça va mieux à présent. »
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1. deWitt, Patrick. Les Frères Sisters, [Fichier ePub], Éditions Alto, Québec, 2012, 295 p.

1 commentaire:

Jocelyne Richard a dit...

Les histoires de tueurs ne m'intéreent pas vraiment en génerale. Mais ta présentation me met l'eau à la bouche Merci Luc je retiens la suggestion.