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samedi, septembre 03, 2016

Le temps (révolu) des Galarneau. Commentaire

C’est un roman sur le lien familial, qui unit les trois frères Galarneau envers et contre tous, parfois eux-mêmes, « dans cet espace qui [les] désassemble », 1 pour reprendre une formule de Gaston Miron.

C’est un roman sur la mémoire (« Aujourd’hui je numérote et j’écris pour ne pas oublier ») 2 et l’identité, dans un Québec en plein changement, où les Galarneau se cherchent ici, et ailleurs, se perdent de vue dans des projets qui les dépassent : mariage gris de François, roman inachevable de Jacques, action humanitaire frauduleuse d’Arthur, et pour finir : vol d’objets d’art… Une perpétuelle fuite en avant, jusqu’à la fin, où François -- qui avait déjà renoncé à son appartement, squatté par « sa » famille cambodgienne -- lui remet symboliquement sa terre natale, dans deux lettres d’adieu, l'une adressée à celle qu’il avait mariée pour faciliter son immigration : « Je vous laisse l’hiver qui s’annonce à l’horizon. À vous de pelleter ! » (p. 153) ; et l'autre, adressée au frère de cette dernière : « Je te laisse la responsabilité de la famille, de l’économie, de la société. Nous avons fait la révolution tranquille, à vous la transformation du même nom » (p. 153) Fuite en avant jusqu’à l’exil en Guyane, avec cette phrase qui clôt le récit : « [La terre] où nous sommes nés, il faut bien l’avouer, ne nous appartient déjà plus » (p. 158)

C’est un roman de la résistance, qui commence pourtant sur une note de résignation : « Je veux dire, ça n’a pas été facile, au début, de me conformer, de me soumettre » (p. 12) Mais l'uniforme d’agent de sécurité de François (« un agent de sécurité et d’ordre dans la société contemporaine. Faut ce qu’il faut » (p. 14), qu’il porte depuis six ans déjà, et que l’incipit décrit pourtant en détail, comme s’il était nouveau, ne saurait faire illusion... L’étape de conformité de Galarneau tire à sa fin. Sous l'uniforme, la « rage » (p. 116) couve. Résister, toutefois, ce n'est pas vaincre. En ce sens, l'exil mentionné ci-dessus, le refuge dans la clandestinité, pose un constat d'échec. Il n'y a pas d'avenir possible ; il n'y qu'un passé perdu. Si François, le narrateur, réfute toute nostalgie, son récit n'en est pas moins empreint d'une évidente sentimentalité liée au temps.

C’est un roman sur l’écriture, comme la plupart, sinon tous les romans de l'auteur. Le frère de François est un « écrivain professionnel », bloqué, incapable de terminer son roman, une « histoire d'amour » (p. 90). Ironiquement, c'est le narrateur, qui ne revendique aucun statut professionnel, qui a déjà publié un titre : Salut Galarneau !, dont Le Temps des Galarneau constitue la suite. L'écriture, ici, se met en scène en tant qu'autofiction. S’y trouve des remarques sur le statut de l’écrivain et de la littérature, et, surtout, cette insistance du narrateur à associer la littérature à une perte de la réalité, du sentiment de la réalité du monde, perte que symbolise le centre d’achat Garland, et le « « litteraland » (p. 65) parisien comparé à Dysneyland.

Est-ce un roman sur le « Québécanthrope », pour reprendre une autre formule de Miron ? À tout le moins, un roman sur la fin d’une époque, que je qualifierais de nationaliste, deux ans avant l’échec référendaire de 1995

C’est un roman de Jacques Godbout. Où l’on retrouve son intelligence, son humour. Sa réflexion substantielle, dans une simplicité de ton, une économie de procédés. Un roman d’un grand plaisir de lecture.
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1. Miron, Gaston. « Au sortir du labyrinthe », dans L'Homme rapaillé, Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 1970, p. 72
2. Godbout, Jacques. Le Temps des Galarneau. [Fichier ePub], Éditions du Seuil, Paris, 1993, p. 10

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